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Qu'est-ce que l'agilité?

Si tout le monde s’accorde sur la nécessité de développer l’agilité dans les organisations, il n’est cependant pas toujours facile de s’accorder sur le sens exact de ce mot valise qu’est l’agilité. Celui-ci renvoie à des significations variées et des conceptions du management qui se rattachent à divers courants théoriques. La Fabrique de l’Agilité a ainsi nécessairement été amenée à produire sa définition du concept d’agilité organisationnelle, en s’appuyant sur les travaux menés au sein de l’Institut interdisciplinaire du développement des entreprises de la HEIG-VD.

C’est à partir d’une revue de la littérature étendue que les chercheurs de la HEIG-VD ont choisi de parler d’agilité organisationnelle pour englober les différentes approches du concept d’agilité. Ils ont débouché sur la définition suivante : l’agilité organisationnelle consiste à développer la réactivité dans l’organisation, en s’appuyant sur l’intelligence collective de collaborateurs autonomes, afin de créer une valeur et répondre aux besoins de l’ensemble des parties prenantes. 

Cette revue de littérature a montré que l’agilité organisationnelle puise ses sources et les pratiques dont elle fait l’objet au sein des quatre grands courants théoriques suivants : 

  • L’agilité stratégique qui renvoie en premier lieu à la capacité à s’adapter rapidement aux changements de l’environnement
  • L’agilité opérationnelle qui consiste en la capacité à créer des produits ou des services créant de la valeur et répondant aux changements de l’environnement
  • La gouvernance agile est la combinaison d’une philosophie humaniste, d’une structure souple, de processus qui assurent l’autonomisation et la responsabilisation des employés et de pratiques de management démocratique basées sur la confiance. 
  • L’agilité de l’organisation du travail (Worksmart) qui renvoie à des pratiques de flexibilité spatio-temporelle rendues possibles et soutenues par les technologies de l’information qui débouchent sur un management “participatif” et des modes de travail collaboratif . 

Penchons-nous plus en détails sur chacune de ses portes d’entrée de l’agilité et leur articulation.

L'agilité stratégique

L’agilité stratégique est le courant à qui l’on doit la première apparition du concept d’agilité dans la littérature scientifique dans les années nonante. L’agilité stratégique vise à adapter les modes de production d’une organisation aux besoins de l’environnement pour rester concurrentiel. 

Pour expliquer l’apparition de l’agilité avec ce courant, il convient de dresser une chronologie de l’évolution des modes de production (Ferrante, 2016) : 

  • XVIIIe – Production artisanale : contrat et production sur la base de projets individuels. Faible volume de production et grande variété de produits
  • XIXe et XX – Production de masse avec l’avènement du taylorisme et des lignes de montage d’Henry Ford Grandes quantités produites et faibles variétés de produits (malgré une légère augmentation de la variété des produits au fil du temps)
  • Dès 1945 – Lean manufacturing : développé au Japon. Application des principes du juste à temps et à l’élimination des gaspillages dans le but de réduire au minimum le coût total de production d’un produit. Grandes quantités produites et flexibilité de la production qui s’adapte aux aléas.
  • Dès 1991 (aux Etats-Unis) – Agile Manufacturing : la production est devenue plus que la simple transformation des matières premières en produits commercialisables. Il s’agit de :
    • la transformation d’information : besoins des clients, des données de conception, de production de données, etc.
    • la transformation de la géographie : logistique
    • la transformation de la disponibilité : contrôle des stocks et des délais

C’est sur cette base que des chercheurs et praticiens se sont rassemblés en 1991, sous l’impulsion du congrès américain, pour proposer un nouveau mode de production afin de permettre aux Etats-Unis de retrouver un leadership industriel et faire face à la menace d’un déclin concurrentiel sur les marchés (Nagel & Dove, 1991). Cette approche met essentiellement l’accent sur l’adaptation des modes de production aux évolutions des marchés.

Le rapport de 1991 retient 5 points clefs (Ferrante, 2016): 

  • Un nouvel environnement compétitif pour les produits industriels et les services émerge et force la production à changer.
  • L’avantage compétitif dans le nouveau système appartiendra aux entreprises ayant une production agile, capable de répondre rapidement à des demandes de produits à la fois de qualité élevée et hautement personnalisables.
  • L’agilité nécessite l’intégration de technologies de production flexibles avec la compétence de base d’une main d’œuvre qualifiée, et avec des structures de management souples stimulant les initiatives de coopération dans l’entreprise et entre différentes entreprises.
  • Le département de la défense a un rôle vital à jouer et un intérêt important dans la transition avec succès de l’industrie vers l’agile manufacturing

Le niveau de vie dont les américains jouissent aujourd’hui est en danger tant qu’un effort coordonné n’est pas fait pour permettre aux industries américaines de mener la transition vers le nouveau système de production.

Les auteurs présentent l’agilité comme un nouveau paradigme sur la manière de faire des affaires. Ils la définissent suivant 4 grandes caractéristiques : 

  • Dynamique et ouverte : être agile demande une attention constante envers 
    • son personnel
    • ses performances organisationnelles
    • la valeur de ses produits et services
    • aux opportunités de marché constamment changeantes → Implique une capacité continue à changer ce que les entreprises et les gens font et comment ils le font.
      → Les personnes agiles sont toujours prêtes à découvrir et à apprendre les nouveaux éléments et compétences dont ils ont besoin afin de pouvoir saisir de nouvelles opportunités.
  • Spécifique au contexte : l’entreprise agile connaît non seulement parfaitement ses marchés actuels, ses lignes de produits et chaîne de valeur, ses compétences et ses clients, mais elle est également capable de comprendre le potentiel de futurs marchés et clients.
    → Cela mène à des plans stratégiques afin d’acquérir de nouvelles compétences, développer de nouveaux produits, etc.
    → Implique de connaître le plus précisément possible les entreprises concurrentes.
  • Attitude proactive vis-à-vis du changement considéré comme une opportunité : une organisation agile doit pouvoir avoir une structure organisationnelle et des processus administratifs permettant des passages rapides de nouvelles initiatives à des activités riches pour les clients.
  • L’agilité vise à créer des opportunités de profit et de croissance de manière constante et dynamique : les entreprises agiles précipitent le changement en créant ainsi de nouveaux marchés et de nouveaux clients au-delà de leurs marchés actuels. La force d’une entreprise agile se trouve dans sa capacité d’anticiper de manière proactive les attentes clients menant à l’émergence de nouveaux marchés à travers une innovation constante. 

L'agilité opérationnelle

L’agilité opérationnelle, c’est-à-dire centrée sur les activités de gestion de projet, est le courant qui a le plus popularisé ce concept en lien avec le management des organisations. Le développement des projets logiciels s’est heurté à la lourdeur des méthodes classiques de gestion de projet. C’est pourquoi, en 2001, 17 spécialistes en génie logiciel se sont réunis dans les montagnes rocheuses et ont rédigé la déclaration fondatrice d’une nouvelle méthodologie de gestion de projet qui repose sur les 4 valeurs et 12 principes suivants : 

Malgré la description des principes agiles à travers une série d’oppositions, cette approche considère que les logiques classiques de la gestion de projet restent valables, mais ne doivent pas être privilégiées.

Si nous qualifions ce courant à travers l’adjectif opérationnel, c’est parce que l’agilité diffusée par le manifeste agile s’est avant tout développée à l’échelle des équipes, sur le terrain, pour réaliser le travail opérationnel. Ce n’est que par la suite qu’il s’est élargi à l’échelle organisationnelle (SwissQ, 2020): 

  • Dès 2009 – 1ère vague de diffusion de l’agilité en Europe : une diffusion relativement lente des processus agiles s’opère au sein des équipes de développement de logiciel. C’est le début de l’implémentation de la méthodologie de gestion de projet SCRUM. D’ailleurs, pendant un long moment, l’agilité devient un synonyme de SCRUM. L’impulsion du changement de manière de travailler vient souvent de l’équipe elle-même.
    Focus : auto-organisations des équipes et compétences individuelles
  • Dès 2014 – 2ème vague de diffusion : Des programmes et développement de produits plus complexes ont amené au développement de fonctionnements agiles impliquant plusieurs équipes. C’est la naissance de l’agilité à l’échelle avec l’apparition de la méthodologie SAFe (Scaled Agile Framework). Beaucoup d’entreprises ont tenté d’utiliser une approche hybride entre une approche de gestion de projet agile et une approche dite en cascade en essayant de combiner les avantages de chacune des deux méthodologies. C’est sûrement pourquoi SAFe est devenu si populaire : cette méthodologie ne demande pas nécessairement que les silos soient supprimés.
    Focus : processus et méthodes
  • Dès 2018-2019 – 3ème vague de diffusion : Avec la collaboration rapprochée du business, du développement et des opérations, personne ne souhaite être laissé derrière et l’agilité n’intéresse pas uniquement les développeurs ou les opérationnels, mais aussi le business. C’est ainsi que la troisième vague débute avec la mise en œuvre du BizDevOps ou du Business Agility. Il s’agit de travailler l’état d’esprit et en particulier avec la population la plus résistante au sein des entreprises : le middle management.
    Focus : changer la culture d’entreprise et l’état d’esprit vers celui de l’agilité.

Aujourd’hui les méthodes et pratiques d’agilité opérationnelle issues du domaine informatique commencent à s’étendre  dans d’autres domaines d’activité, comme par exemple une entreprise agricole cultivant en permaculture (Aubry, 2019). 

La gouvernance agile

Ce courant de l’agilité, qui promeut une approche humaniste du management, a émergé dans les années 1960 avec l’émergence de l’école des relations humaines. Mouvement intellectuel qui a émergé en opposition à l’école classique (taylorisme, fordisme, bureaucratie) de l’étude des organisations, il cherche à redonner à l’humain une place centrale au travail. Les premiers théoriciens “humanistes” attribuent en effet les résistances au taylorisme au facteur humain. 

C’est dans ce cadre qu’émerge une succession de travaux mettant en avant la place de l’être humain et de sa motivation comme facteur de performance pour les organisations. Parmi les nombreux travaux qui nourrissent les modèles de gouvernance agile, nous mettons ci-après l’accent sur trois approches qui nous semblent particulièrement en refléter la philosophie.: 

  • Théorie X et Y de Mac Grégor – 1960 : Cette théorie montre que les représentations des dirigeants ont des conséquences sur les modalités de management mises en œuvre dans leurs entreprises. Selon McGregor, la conception classique de la motivation perçue de l’individu se rapporte à la théorie X. Les dirigeants qui adhèrent à la Théorie X ont une vision pessimiste de l’être humain. Ils estiment nécessaire de contraindre, contrôler et diriger leurs collaborateurs pour qu’il réalisent correctement leur travail. Ce faisant, ils mettent en place des procédures contraignantes et des contrôles qui démotivent les collaborateurs et sapent leur engagement, ce qui les conforte dans leur conception pessimiste de l’humain au travail. A l’opposé, les dirigeants qui partagent la conception de la Théorie Y sont convaincus que l’individu se dirigera lui-même s’il est aligné à la vision commune. Cette conviction conduit le management à s’appuyer sur la responsabilité des collaborateurs et favorise en conséquence leur engagement. Les dirigeants implémentant une gouvernance agile adhèrent à la Théorie Y où plutôt que de dire aux employés « comment » et quoi faire  (Théorie X), il s’agit de dire « pourquoi » faire les choses afin de favoriser leur engagement (Théorie X). 
  • Théorie de l’empowerment – 1980 : Alors que les origines de ce terme peuvent être retracées dans des domaines aussi variés que le féminisme, le freudisme, la théologie, le mouvement black power ou le gandhisme, l’empowerment renvoie aux principes suivants :
    • La capacité des individus à agir pour assurer leur bien-être
    • Le droit de participer aux décisions les concernant
    • L’octroi de davantage de pouvoir à des individus ou des groupes pour agir sur les conditions sociales, économiques, politiques ou écologiques auxquelles ils sont confrontés

Les premières théories de l’empowerment élaborées aux États-Unis sont donc ancrés dans une vision philosophique qui donne la priorité au point de vue des opprimés pour leur permettre de s’exprimer et d’acquérir le pouvoir de surmonter la domination dont ils font l’objet. En management, l’empowerment est un moyen d’accroître la confiance en soi et les habiletés de l’individu. Il est favorisé par un environnement où règne coopération et partage de connaissance. Il repose sur trois piliers :

      • Le développement de la vision
      • Le développement de l’autonomie
      • Le développement de l’appropriation
  • Théorie de l’autodétermination de Deci et Ryan – 1985 : Ces chercheurs posent les bases de la motivation humaine. Ils expliquent que lorsque nos trois besoins d’autonomie, de compétence et d’appartenance sociale sont satisfaits, nous nous sentons auto-déterminés, et alors nous sommes motivés à agir et à nous dépasser. Ainsi, ces chercheurs soutiennent que mettre en place des systèmes qui récompensent et stimulent la motivation extrinsèque (récompense financière ou crainte de représailles) peut diminuer la performance. Au contraire, pour accroître la performance, il est nécessaire de mettre en œuvre une organisation du travail qui stimule la motivation intrinsèque, c’est -à-dire guidée par le plaisir et l’intérêt de l’individu, sans attendre de récompense externe.

L'agilité de l'organisation du travail (Work Smart)

Le terme “New Work” est apparu déjà dans les années 1970, lorsque le philosophe et sociologue, Firthjof Bergmann (1930-2021) a prédit le passage d’une société industrielle vers une société de la connaissance et de l’information. 40 ans plus tard, on peut dire que la transformation numérique a profondément bouleversé notre façon de travailler. 

Les New Ways of Working regroupent des modes de travail divers et variés induisant une flexibilité organisationnelle et spatio-temporelle grâce aux technologiques digitales (cf. schéma ci-dessous) 

L’accent est mis sur les personnes et les processus, plutôt que sur les aspects techniques et informatiques.

Selon le whitepaper rédigé par Swisscom (2021), les 4 thèses principales pour l’avenir du travail sont les suivantes : 

  • Le travail doit être pertinent : alors que les ordinateurs, robots ou machines se chargent des tâches routinières et monotones, les êtres humains doivent mettre leur énergie sur des actes où ils ont une réelle valeur ajoutée et où ils peuvent exprimer leur créativité, potentiel, atouts. 
  • Moins il y en a, mieux c’est : travailler moins, mais travailler mieux. Il s’agit de mettre en place des modes de travail flexible où le temps de travail est condensé sur moins de jours ou alors réparti différemment sur la semaine que dans le respect strict des horaires de bureau.
  • Je travaille où je suis : bien que le bureau reste un lieu essentiel pour la collaboration, inventer, créer des liens et entretenir des réseaux, il est clef de permettre aux collaborateurs de réaliser du travail à distance. 
  • Le mix efficace : mettre en place un agenda flexible pour améliorer la qualité de la vie et prendre plus de plaisir au travail. Ex: travailler plus tôt le matin ou le soir pour s’accorder des pauses sport ou sociale dans la journée. 

Articulation entre les 4 portes d'entrée de l'agilité organisationnelle

Pour aider les organisations à déployer l’agilité organisationnelle, l’analyse de la littérature scientifique a débouché sur une synthèse dans un modèle en trois dimensions, regroupant les principes d’actions communs aux quatre sources de l’agilité évoquées plus haut : 

  • Le Pilotage agile : anticiper les changements et coopérer avec les parties prenantes pour aligner l’organisation sur une vision inspirante et évolutive.
  • Les Processus agiles : concevoir une organisation et des processus évolutifs permettant une action réactive et coordonnée. 
  • Les Personnes agiles : favoriser un leadership permettant d’accompagner l’autonomie, l’intelligence collective et le développement des compétences des collaborateurs.

Ces trois dimensions ont servi de base à la formulation d’un ensemble de principes qui caractérisent les organisations agiles dont quelques exemples figurent dans l’image ci dessous. 

Ainsi, les quatre courants théoriques  que nous avons retracés peuvent être situés selon qu’ils mettent plus ou moins d’accent sur ces trois dimensions et qu’ils sont plutôt issus d’une conception utilitariste ou humaniste de l’organisation et du management : 

Les chercheurs de la HEIG-VD ont ainsi développé un outil d’évaluation de l’agilité organisationnelle, qui reprend ses principes de ses quatre portes d’entrées de l’agilité.